10/02/2009

Enquête sur la Chick lit, Article paru dans le magazine littéraire, mai 2006

 Lancée aux Etats-Unis par la New-Yorkaise Candace Bushnell, auteur de Sex and the City, la «littérature de poulettes» gagne l'édition française.

Comment?! Vous ne connaissez pas la «chick lit»? Abréviation de chicken literature, autrement dit «littérature de poulettes», ce nouveau genre est pourtant du dernier... chic! Du moins auprès d'un certain public, le plus souvent féminin, entre 20 et 30 ans, voire plus: célibataires branchées, mères de famille décomplexées, lolitas nanties, minettes coquettes et cœurs d'artichaut, elles sont à la fois cibles et modèles de cette variante contemporaine et délurée du traditionnel roman sentimental.

Oubliés les stéréotypes bien-pensants avec les héroïnes de la chick lit: obnubilées par le look et les mecs, adeptes du parler cru et méchant, elles raffolent des virées entre copines et veulent réussir sur tous les tableaux. «Ce type de romans place la femme dans une perspective post-féministe. Il est de plain-pied avec la réalité psychologique et sociologique de notre époque», résume Tony Cartano, directeur du département Etranger chez Albin Michel, éditeur verni du Journal de Bridget Jones. Avec ces confessions décoincées d'une célibataire déconfite, à peine trentenaire, obsédée par ses kilos et sa solitude, la Britannique Helen Fielding avait donné le ton. Paru en 1997 outre-Manche, trois ans plus tard en France, son roman s'est écoulé depuis à plus de 4 millions dans le monde entier, dont 500 000 exemplaires dans l'Hexagone. Tony Cartano reconnaît que la lecture du manuscrit l'a d'abord déconcerté: «Forcément, je suis un homme, je n'ai plus 30 ans et les états d'âme de cette petite Anglaise ne ressemblaient à rien de connu. Or, en le faisant lire à des jeunes collaboratrices de la maison, j'ai constaté que toutes les femmes pouvaient s'identifier à Bridget Jones d'une façon ou d'une autre.» De son côté, la journaliste américaine Candace Bushnell avait ouvert la marque (haute couture) dès 1996 avec Sex and the City: une compilation de ses chroniques dans le New York Observer où elle levait le voile (griffé) avec humour et férocité sur les drôles de mœurs du milieu huppé de la mode et des médias à Manhattan. Le verbe cru et le prince charmant en rade, ses héroïnes ont connu le succès que l'on sait dans la série télévisée éponyme. Mais les lectrices en redemandaient. Une autre Américaine, Lauren Weisberger, s'est à son tour engouffrée dans cette brèche branchée avec Le diable s'habille en Prada. Best-seller aux Etats-Unis, le livre a également fait un tabac en France où il a débarqué en 2004: près de 100 000 exemplaires vendus au Fleuve Noir, le double chez Pocket - deux filiales d'Editis qui exploitent le filon à fond, non sans faire des émules ailleurs. Un filon que Béatrice Duval, éditrice au Fleuve Noir, avait flairé elle aussi en lisant Bridget Jones: «C'était différent des autres romans pour femmes, plus moderne, avec de l'humour et du cynisme, sans concession.» L'occasion idéale pour rajeunir la marque de ce vieux macho de San-Antonio. Au forcing, quand même: «Nos premiers titres en 2002 sont passés complètement inaperçus et j'ai acheté Le diable s'habille en Prada pour une bouchée de pain. Personne n'en voulait à Paris, au motif que c'était trop américain. Idem pour Blonde attitude de Plum Sykes. Pourtant, ces héroïnes en proie à ce que j'appelle "le syndrome Lady Di" - belles, riches et malheureuses - ont un côté jouissif pour les lectrices. Elles se retrouvaient peut-être davantage dans Bridget Jones, mais la dérision est le point commun de tous ces livres.»

En la matière, les romancières anglo-saxonnes semblent toujours avoir une longueur d'avance sur les Françaises, dont les livres sont moins mordants, moins drôles. Qui plus est, leurs éditeurs font souvent mine d'ignorer le phénomène. La chick lit? «Jamais entendu parler», assure Anne Carrière qui vient pourtant de publier Sainte Futile d'Alix Girod de l'Ain, plume people du magazine Elle, ainsi que le nouvel ouvrage de Sylvie Overnoy, rédactrice en chef de Cosmopolitan. «En France, on considère cette littérature féminine avec une sorte de snobisme», constate Béatrice Duval. A moins qu'on la considère surtout comme une passade... «Il y a beaucoup de clones, estime Tony Cartano. On risque la saturation à force de toujours lire les mêmes histoires sur la recherche du mari idéal, le passage de la trentaine, la relation avec les parents, etc. Le roman sentimental à l'ancienne a été remplacé par cette littérature, mais en partie seulement.» La chick lit a ses lettres de noblesse; impossible de faire comme si elle n'existait pas.

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